Démarche
Frédéric Mathevet ne regarde pas le monde, mais l’ausculte. Il considère l’écoute comme une alternative au regard qui favorise la discontinuité des choses. Où la vue détermine des masses, des contours, des frontières ; l’ouïe permet une attention toute en nuances, sensible aux variations et aux modulations.
Frédéric Mathevet ne regarde pas le monde, mais l’ausculte. Il considère l’écoute comme une alternative au regard qui favorise la discontinuité des choses. Où la vue détermine des masses, des contours, des frontières ; l’ouïe permet une attention toute en nuances, sensible aux variations et aux modulations. C’est ainsi qu’il navigue et est lui-même une composante d’un espace vibratoire, percevant le réel comme un terrain de jeu. Pour transmettre ce mode de perception, il crée des dispositifs de captation de ce réel de manière à rejouer le moment présent. Il fabrique des pièces à écouter l’instant.
Pour ce faire, le compositeur-plasticien, se promène avec ses outils nomades d’enregistrement dans son sac à dos. Il y a le classique enregistreur pour capter des sons (les siens ou ceux de l’environnement immédiat), le téléphone portable pour ses fonctions vidéo et micro. Et puis des éléments plus surprenants comme une carte semi-opaque imprimée d’un clavier qu’il place dans le paysage dès lors qu’une trace peut potentiellement être interprétée comme une partition. La translucidité de l’objet et l’appareil photo fixe cette vision. Sa réglette d’archéologue lui permet alors de conserver l’échelle de prise de vue et de mettre en place une écriture sonore proportionnée. Il y a également les tampons de clavier et de tablature apposés sur les murs. L’artiste active quasi simultanément ces outils pour enregistrer le moment de façons visuelles et sonores. À noter que le prélèvement d’objets dérisoires (des rebuts tels que tessons de poterie, objets en plastique cassés, images), fait partie intégrante de cette volonté de restituer un instant vécu. Ils seront réactivés d’une façon ou d’une autre plus tard.
Une fois le travail du dérushage effectué (sélection des composants hétéroclites de cet instant) vient le moment de donner du sens à l’hétérogène. C’est le rôle de la table de mixage, à voir comme la machine à coudre qui va assembler les fragments du réel pour créer une pièce globale. Si cette table peut prendre différentes formes (l’interface d’un logiciel, une simple table ou au contraire une table connectée qui active les éléments préalablement enrichis d’un capteur), la partition (ou protocole d’activation de l’œuvre), elle, est une constante. Il s’agit du support qu’interprète le musicien pour faire résonner le moment enregistré. À travers elle, chaque élément devient son, recréant ainsi une ambiance musicale. Il est à préciser que la partition tient compte, dans ses indications, de la pulsation propre à l’interprète, de sorte qu’un auditeur n’entendra jamais deux fois la même chose.
Les œuvres de Frédéric Mathevet prennent la forme de morceaux sonores, d’installations-performées composées d’un instrument de musique et d’éléments épars (partition graphique, dessin-partition, objets récupérés…) répartis dans un espace devenant ondulatoire lorsque ceux-ci sont joués. Le plasticien fait preuve d’une économie de moyens — les choses qu’ils récoltent sont négligeables. En revanche, le déclenchement des sonorités de chaque élément nécessite les connaissances d’un musicien aguerri ouvert au pas de côté. En effet, la volonté de l’artiste est de donner à voir et à entendre une autre façon de percevoir le réel, ou plus exactement, de redonner à l’instant présent l’envergure qu’on lui doit en questionnant nos modes de lecture, notre langage et le caractère normatif de notre approche du monde. In fine, Frédéric Mathevet nous propose de voir à nouveau, de pénétrer le fluide, le vibratoire, le texturé et de considérer la plasticité des choses par la création d’une musique littéralement concrète, tangible.
Power in Numbers
0
Programs
0
Locations
0
Volunteers